Maïlys qui rit, Maïlys qui pleure : 3 cœurs Forum Opéra

« La jeune soprano française Maïlys de Villoutreys avait fait forte impression avec son premier récital où, avec la complicité du trio Dauphine, elle révélait la musique de Jean-Benjamin de Laborde (1734-1794), auteur de plusieurs cahiers de « chansons », très aimables pièces de salon dont les textes relevaient avant tout de la galanterie. Après ce premier disque riant, cette chanteuse nous revient avec un programme complètement différent, où d’autres qualités viennent s’ajouter à celles que nous avions déjà pu remarquer.

Il Pianto della Madonna nous fait remonter d’un siècle et demi en arrière, avec des œuvres de huit de compositeurs ayant marqué surtout la première moitié du XVIIe, non sans une incursion dans un passé plus ou moins lointain, avec l’antienne initiale, ou la pièce de Diego Ortiz, compositeur du milieu du XVIe siècle. Quant aux huit principaux, il s’écoule à peine plus d’un siècle entre la naissance du doyen, Claudio Monteverdi (1567), et la mort de la plus jeune, Barbara Strozzi (1677). Outre cette cohérence chronologique, il y a bien sûr celle du thème choisi, puisque tous les morceaux relèvent du culte marial, à travers ses différentes expressions plus ou moins prévisibles. Le Salve Regina, le Quam pulchra es et le Stabat Mater en sont bien sûr les trois éléments les mieux connus, mais on découvre ici des pages plus insolites : sous le titre Hor ch’è tempo di dormire, Tarquinio Merula propose une berceuse de la Vierge qui semble prophétiser les souffrances qui attendent son fils (et qui l’attendent donc elle aussi) dans les années à venir. Plus inattendu encore, la très étrange adaptation du Lamento d’Ariane en Plainte de la Madone : sur l’air célébrissime, seul rescapé de l’opéra perdu de Monteverdi, des paroles latines ont été arrangées pour exprimer le désespoir et les tourments de la Vierge au pied de la croix. En l’absence de toute information accompagnant le disque, une rapide recherche nous apprend que ce « contrafactum » est paru en 1641 dans la Selva morale e spirituale, mais on ignore si Monteverdi lui-même est responsable de cette adaptation.

A ces pages intimes malgré leur provenance opératique (pour le Lamento d’Ariane) et leur caractère théâtral car, les cinq musiciens de l’ensemble Desmarest prêtent la ferveur recueillie ou extravertie qui s’impose tour à tour ; sous la direction de Ronan Khalil, qui tient le clavecin, on remarque notamment la présence exceptionnelle de Jean Rondeau qui ne joue donc pas de son instrument le plus habituel, mais de l’orgue. Quant à la voix (pour l’antienne qui ouvre le disque, une voix masculine se joint à elle, mais on ignore à qui elle appartient), celle de Maïlys de Villoutreys est cette fois appelée à puiser dans de tout autres ressources que pour le disque Laborde. En effet, une fois passé l’imploration et la douceur du Salve Regina adressé à la Vierge pour les fidèles, elle doit traduire toute l’amertume et la douleur de Marie elle-même, qui voit ou imagine par avance les outrages infligés à son fils. Et c’est là que se révèlent les qualités dramatiques de l’interprète : malgré une quasi absence de vibrato, dans le plus pur style baroqueux, elle parvient néanmoins à déchaîner une expressivité remarquable, surtout dans ce latin d’église qui sert souvent de refuge à la plus grande froideur. Le Pianto della madonna sopra il lamento d’Arianna l’y invite, avec ses questions et ses exclamations de femme éplorée. Avec sa répétition lancinante de deux notes pour les instruments, Hor chè tempo di dormire est une pièce fascinante, qui s’aventure jusqu’à la dissonance pour mieux refléter l’horreur de la crucifixion : la voix de Maïlys de Villoutreys s’y allège d’abord, devenant quasi transparente, pour respecter le sommeil du nouveau-né, mais se fait ensuite presque grinçante pour traduire les tourments du Christ sur la croix, appuyant là où ça fait mal, à limite du cri ou du sanglot. Cette immédiateté, sans doute la doit-on au direct, car tel est le principe adopté par le label B Records, « Du live et rien d’autre ». »

Laurent Bury pour Forum Opéra, le 4 mai 2016

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